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L’an dernier, la tragique Norma d’Anne Delbée ouvrait avec intensité la saison lyrique marseillaise – par Mathilde Mougin

A l’heure où les théâtres de préparent à rouvrir leurs portes, retour sur un grand moment de la dernière saison marseillaise: la Norma de Bellini, à l’Opéra de Marseille, dans une production de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, sous la direction musicale de Michele Spotti et dans une mise en scène d’Anne Delbée.

© Christian Dresse 2024

La scène s’ouvre sur Norma, éclairée par la lumière de la lune, drapée de velours noir et d’une cape de métal, foulant le sol de son pied nu, en Diane accompagnée du Grand cerf auquel le comédien Valentin Fruitier prête sa voix rauque. Véritable attribut de la druidesse inspirant également le décor, ce cerf la quittera pas jusqu’au sacrifice, la couronnant de bois au seuil de sa mort, lui offrant ainsi une rédemption quand le chœur la condamne. Pollione, lui, arrive en conquérant drapé de rouge, abandonnant sa cape en même temps qu’il confie à son compagnon Flavio – campé ici avec élégance par le ténor Marc Larcher – son désamour pour Norma et sa passion naissante pour Adalgisa, qu’il tente de convaincre de le suivre à Rome lors d’un duo (« Va crudele al Dio spietato ») où est formulé ce conflit qui tiraille la jeune fille entre l’amour et la religion.

C’est avec un chef d’œuvre du bel canto italien que l’Opéra de Marseille avait ouvert sa saison lyrique 2024-2025, la Norma de Bellini. Cet opéra en deux actes créé à la Scala de Milan en 1831 sur un livret de Felice Romani inspiré de la tragédie Norma ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet est ici mis en scène par Anne Delbée, dans une production de l’Opéra national du Capitole de Toulouse. Karine Deshayes, qui interprétait Adalgisa dans la version toulousaine de la saison 2019-2020, incarne ici avec intensité le personnage de Norma, héroïne tragique qui n’est pas sans évoquer Phèdre, chère à la metteuse en scène. Enea Scala, qui avait clôturé la saison dernière avec Un ballo in maschera, retrouve ici son public marseillais dans le rôle de Pollione. Ce proconsul romain est doublement conquérant : envahisseur de l’antique Gaule, il séduit la jeune Adalgisa après avoir charmé la grande prêtresse Norma, avec laquelle il a conçu secrètement deux enfants. Cette intrigue située dans le monde celtique des druides gaulois s’inscrit pleinement dans une mode contemporaine (Les Martyrs de Chateaubriand, 1809) introduite notamment par Ossian au siècle précédent.

© Christian Dresse 2024

A la différence de Médée dont elle partage pourtant la colère, Norma ne sombre pas dans la folie ni ne commet d’infanticide, bien qu’elle en formule le projet au début du deuxième acte. Adalgisa, en alliée loyale, parvient même à l’apaiser en renonçant à son amour pour Pollione qu’elle promet de lui ramener, dans un émouvant duo de réconciliation (« Si fino all’ore estreme ») qui marque le triomphe de la sororité sur les conflits amoureux. Toutefois, le Romain précipite par son obstination la tragédie finale où Norma, telle Didon, s’apprête à se jeter dans un bûcher, se sacrifiant elle-même, rejointe par l’objet de son amour gagné par un subit retour de flamme.

Avec une économie de moyens, les décors sobres d’Abel Orain et de Hernán Peñuela figurent la forêt sacrée aussi bien que les colonnes du temple, entourant un promontoire dirigé vers le ciel, et symbolisant peut-être le caractère inéluctable de la fatalité. Un écran tapisse le fond de la scène sur lequel est projeté l’espace mental de Norma, avec le souvenir de ses enfants ou des fantasmes plus sombres, ou encore la mer déchaînée au deuxième acte, qui joint sa colère à celle de l’héroïne.

Les costumes de Mine Verges ont également leur propre langage : Adalgisa troque par exemple la blancheur immaculée de sa robe de prêtresse contre une autre, incandescente, figurant la passion qu’elle éprouve pour le proconsul. Quant aux lumières de Vinicio Cheli, elles sont orchestrées avec une grande virtuosité. La lumière lunaire du début du premier acte laisse place à une chaude lumière rose lors du duo amoureux entre Pollione et Adalgisa, et au deuxième acte, les corps blancs se détachent de manière presque fluorescente de la scène noire.

© Christian Dresse 2024

La mezzo-soprano Karine Deshayes relève le défi de cette partition endurante, explorant la palette du personnage éponyme qui exige une maîtrise vocale pour l’intégralité de l’ambitus. La cantatrice se dévoile particulièrement dans la gestion des vocalises qu’elle déploie avec précision et brio. Lors de sa prière à la déesse Lune (« Casta Diva »), elle émeut le public avec un pianissimo poussé à l’extrême bien que toujours soutenu, rendant ainsi hommage aux pages les plus connues du compositeur. La soprano Salomé Jicia prête au personnage d’Adalgisa sa voix naturelle et pétillante, proposant une candeur délicieuse dans le grave et naviguant avec agilité dans les différentes nuances et registres de la partition. Clotilda, incarnée ici par la soprano Laurence Janot, offre un contrepoint à ces figures féminines principales, maniant le rôle intime de la confidente avec Norma. Enea Scala triomphe sur le plateau en interprétant avec brio le rôle du proconsul, dont la voix résonne dans la salle avec éclat, précision, puissance dans une technique italienne empreinte de clarté et de riches harmoniques. Quant à la basse Patrick Bolleire, il prête la profondeur de ses graves à la voix de l’autorité d’Oroveso, le chef des druides et père de Norma.

Le chœur, dirigé par Florent Mayet et Clément Lonca, assume son rôle déterminant hérité de la tragédie antique, accompagnant et commentant les actions des personnages principaux. Les départs sont harmonieux, la présence scénique assumée et convaincante.

L’italien Michele Spotti assure avec dynamisme une direction d’orchestre précise et engagée aussi bien à l’égard de l’orchestre dans son ensemble que des pupitres solistes, sans jamais oublier les chanteurs sur le plateau. Le jeune chef exécute la partition avec présence et engouement.

Mathilde Mougin


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie Gaboriaud (1 septembre 2025). L’an dernier, la tragique Norma d’Anne Delbée ouvrait avec intensité la saison lyrique marseillaise – par Mathilde Mougin. Société des études romantiques et dix-neuviémistes. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14k8w


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